Stress et immunité : le défi viral de Sheldon Cohen

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Sheldon Cohen est professeur de psychologie à l’Université Carnegie Mellon (Pittsburgh). Il est le directeur d’un laboratoire étudiant les liens entre stress, immunité et maladies. Ses travaux portent sur la façon dont le stress psychologique, les comportements et les relations sociales influencent l’immunité et la résistance aux maladies infectieuses. Ses recherches ont été publiées dans les plus grands journaux scientifiques. Le 8 juillet 2020, il publie un article dans un journal scientifique dans lequel il suggère que les travaux de son équipe pourraient permettre d’identifier qui est susceptible de tomber malade après exposition au SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19. Quels sont ses travaux et quels résultats a-t-il mis en évidence ?

L’étude de 1991

35 ans à débusquer d’éventuels comportements coupables à travers une méthode bien rodée. Celui qui fait partie des 100 psychologues les plus éminents de l’ère moderne n’en est pas à son premier coup d’essai. En 1991, le chercheur américain démontre le rôle du stress psychologique dans la susceptibilité aux rhumes (1).

Pour démontrer ce lien, son équipe collecte des données auprès de presque 400 volontaires en utilisant des questionnaires pour mesurer le nombre d’événements stressants majeurs récents (exemple : décès de conjoint, perte d’emploi), le stress perçu (la perception que leur capacité à faire face était dépassée) et les émotions négatives (exemple : anxiété, dépression). Le chercheur crée alors un indice de stress qui agrège ces trois indicateurs. Par la suite, son équipe expose chaque volontaire à l’un des cinq virus pouvant donner un rhume léger (dont un coronavirus) par gouttes nasales. Ces volontaires sont mis en quarantaine et suivi pendant 6 jours pour déterminer s’ils développent un rhume.

Résultat : plus le score de l’indice de stress est élevé, plus la probabilité que les participants développent un rhume lors d’une exposition à un virus est grande. Ceux pour lequel l’indice de stress est le plus grand sont 2,16 fois plus susceptibles de développer un rhume que ceux qui ont un indice de stress particulièrement bas. Un stress psychologique plus important est associé à un risque plus élevé de maladie en réponse aux cinq virus. Aucun participant du groupe ayant reçu un placebo au lieu d’un virus n’a développé de rhume.

L’étude de 1998

Dans une étude ultérieure (1998), au lieu de questionnaires sur le stress, son équipe décide de mener un entretien approfondi avec les participants pour détecter les événements de la vie les plus stressants de chaque individu, le type d’événement (par exemple éducatif, financier) et combien de temps cela a duré (2). Après l’entretien, même technique : son équipe expose alors chacun des 276 participants à un virus qui donne le rhume, les place en quarantaine et les surveille.
Résultat : plus l’événement le plus stressant des participants dure longtemps, plus leur probabilité de tomber malade après une exposition au virus est grande. De plus, les types d’événements les plus prédictifs des rhumes sont les problèmes interpersonnels (qui concernent les relations entre deux individus) et les difficultés d’emploi (sous-emploi ou chômage).
Dans leurs études, son équipe prend soin de tester si le stress prédit un risque accru de maladie en raison de ses associations possibles avec des comportements à risque comme le tabagisme, une mauvaise alimentation, de faibles niveaux d’activité physique et un mauvais sommeil, ainsi que les effets négatifs potentiels d’une consommation d’alcool faible à modérée (3,4).
Contrairement aux attentes, aucun de ceux-ci n’explique pourquoi le stress est associé à un plus grand risque de développer un rhume. Le stress apparait donc un facteur de risque indépendant de rhume.

L’étude de 1999

En 1999, Sheldon Cohen, après avoir exposé 55 participants à un virus grippal, constate une production plus élevée de cytokines pro-inflammatoires et plus de symptômes chez ceux qui ont signalé des niveaux élevés de stress perçu au départ.
Ces résultats posent alors à son équipe un dilemme. Il a en effet été démontré que les expositions au stress aigu en laboratoire et en milieu naturel augmentent les niveaux circulants de cortisol (5). Or, il s’agit d’une hormone qui réduit normalement l’inflammation en supprimant la libération de cytokines pro-inflammatoires. Pourtant, même si le stress aigu a été associé à une augmentation du cortisol, et donc diminue vraisemblablement la libération de cytokines, son équipe constate que les personnes qui souffrent de stress chronique produisent plus de cytokines pro-inflammatoires (6).

En réponse à cette apparente contradiction, son équipe émet l’hypothèse que lorsque les personnes sont exposées à des événements stressants majeurs pendant une période prolongée, leur corps s’adapte à l’augmentation initiale du cortisol en réduisant la réactivité des cellules immunitaires au cortisol (un processus appelé résistance aux glucocorticoïdes). Lorsque les cellules deviennent moins réactives, le corps perd la capacité de réduire la réponse inflammatoire (7).

L’étude de 2003

Associé à d’autres chercheurs, S. Cohen décide en 2003 de tester cette hypothèse en examinant si le stress chronique chez l’homme est associé à une réactivité réduite au cortisol. Une population en bonne santé qui vit un événement stressant intense et chronique est impliquée. Il s’agit de parents d’enfants atteints de cancer. Cette population est alors comparée à un groupe de parents peu ou pas stressés, d’enfants en bonne santé.
Lorsque les chercheurs ajoutent un glucocorticoïde de synthèse de type cortisol (la dexaméthasone) à des échantillons sanguins de parents d’enfants en bonne santé, cela réduit la capacité de leurs cellules immunitaires à produire des cytokines pro-inflammatoires. Cependant, l’ajout de dexaméthasone aux échantillons sanguins de parents de patients atteints de cancer s’est avéré inefficace pour réduire la production de ces produits chimiques. Autrement dit, les cellules immunitaires de parents chroniquement stressés sont insensibles aux effets régulateurs de ce glucocorticoïde semblable au cortisol. L’hypothèse est confirmée.

Les études de 2012

Enfin, dans deux études de provocation virale, Sheldon Cohen teste les implications de l’insensibilité au cortisol provoquée par le stress chronique sur le risque de maladie. Dans les deux études, des participants sont exposés à un virus du rhume.
Dans une étude portant sur 276 participants, S. Cohen constate que des événements stressants interpersonnels d’une durée d’un mois ou plus sont associés à une diminution de la sensibilité des cellules immunitaires au cortisol (8). À son tour, une diminution de la sensibilité au cortisol semble expliquer pourquoi les événements stressants de la vie sont associés à un risque plus élevé de rhume.
Dans une étude portant sur 72 participants, S.Cohen constate qu’une sensibilité plus faible au cortisol est associée à une plus grande production de cytokines pro-inflammatoires en réponse à l’infection par un virus du rhume (8).

En bref

Les travaux de Sheldon Cohen montrent que l’association entre le stress et la maladie se produit parce que le stress chronique interfère avec la capacité du corps à arrêter la production de produits chimiques inflammatoires par le système immunitaire. Cet échec dans la régulation de la réponse immunitaire se produit parce que le stress chronique conduit les cellules immunitaires à devenir insensibles au cortisol.

Ressources bibliographiques :

  1. Psychological Stress and Susceptibility to the Common Cold | NEJM [Internet]. [cité 4 janv 2021]. Disponible sur: https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJM199108293250903?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori%3Arid%3Acrossref.org&rfr_dat=cr_pub++0pubmed
  2. Types of stressors that increase susceptibility to the common cold in healthy adults. – PsycNET [Internet]. [cité 4 janv 2021]. Disponible sur: https://content.apa.org/record/1998-01883-002
  3. Cohen S, Tyrrell DA, Smith AP. Negative life events, perceived stress, negative affect, and susceptibility to the common cold. J Pers Soc Psychol. 1993;64(1):131‑40.
  4. Cohen S, Doyle WJ, Skoner DP, Rabin BS, Gwaltney JM Jr. Social Ties and Susceptibility to the Common Cold. JAMA. 25 juin 1997;277(24):1940‑4.
  5. Cohen S, Hamrick N. Stable individual differences in physiological response to stressors: implications for stress-elicited changes in immune related health. Brain Behav Immun. 1 déc 2003;17(6):407‑14..

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