Comment le niveau de preuve scientifique peut aider à mieux choisir ses médecines douces ?

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Vous êtes de plus en plus nombreux à être sensibilisés au sujet du niveau de preuve. Ce concept guide le choix des décideurs de santé et des médecins. Pourquoi la notion de niveau de preuve est-elle importante ? Si cette notion est utile pour les médecins, appréhender ce concept peut également permettre à tout un chacun d’aiguiser son esprit critique afin de faire les bons choix en matière de santé, y compris s’agissant des médecines douces !

Qu’est-ce que le niveau de preuve ?

Le niveau de preuve peut être défini comme la certitude selon laquelle un traitement est efficace ou non. En fonction d’un certain nombre de critères , un traitement est donc efficace (ou non) avec un degré de certitude (très faible, faible, modéré, fort).

Le doute au cœur de la science 

En science, rien n’est blanc ou noir : ceci est particulièrement vrai dans le domaine médical. En effet, bien qu’un traitement est efficace ou non sur un symptôme ou une maladie, la réponse que nous apporte la science n’est pas binaire. Telle un curseur, l’affirmation selon laquelle un traitement est efficace ou non est placée par les chercheurs dans une zone de certitude qui reflète la probabilité qu’a cette affirmation d’être vraie.

Le niveau de preuve : des nuances de gris

Les affirmations selon lesquelles un traitement est efficace sont pondérées par des niveaux de preuve. Imaginez un gris foncé se rapprochant du noir pour un traitement efficace avec un niveau de preuve élevé. Ce gris foncé signifie que les chercheurs sont à peu près certains que le traitement fonctionne vraiment. Imaginez un gris clair se rapprochant du blanc pour un traitement efficace avec un niveau de preuve faible. Ce gris clair signifie que les chercheurs doutent beaucoup sur le fait que ce traitement fonctionne vraiment. Entre les deux, plusieurs nuances de gris existent.

La démarche scientifique : minimiser les biais méthodologiques pour améliorer le niveau de preuve

L’actualité brûlante avec le coronavirus nous a montré que toutes les études ne se valent pas sur le plan du design et sur la façon dont elles sont menées. Ainsi, toutes les études n’apportent pas le même niveau de preuve. Par exemple, les médecins et chercheurs ne sont pas aussi confiants dans les résultats d’une étude cas-témoin que dans ceux d’un essai multicentrique randomisé contrôlé et réalisé en double-aveugle comportant peu de biais méthodologiques.

Répliquer une étude pour améliorer le niveau de preuve

Démontrer l’efficacité par la réplication des résultats

Une étude qui teste une hypothèse n’est pas suffisante pour former une connaissance scientifique. Pour cela, il faut que cette étude soit répliquée, à l’identique, avec différentes mesures et que la communauté de chercheurs tombe de manière consistante sur des résultats qui vont dans le sens de cette hypothèse.  Plus les résultats sont répliqués, plus le niveau de preuve est fort.

S’approcher du réel grâce à la science

La croyance est le fait de tenir quelque chose pour vrai, indépendamment des preuves de son existence, de sa réalité ou de sa possibilité. La science vise, elle, la production de connaissances par l’étude rationnelle et méthodique du monde.

Au contraire d’une anecdote personnelle, d’un témoignage rapporté, de l’opinion, de la rumeur ou de la « sagesse populaire », la réplication d’une étude bien menée permet d’éviter les idées fausses résultant d’un raisonnement incorrect issu d’observations subjectives, non vérifiables et empruntes de biais cognitifs. La science, fondée sur des observations vérifiables et une méthodologie rigoureuse permet ainsi de s’approcher de la description du réel.

Challenger un consensus scientifique

Si un chercheur fait une étude scientifique en respectant la démarche scientifique, et que cette étude entre en contradiction avec un consensus scientifique (des réplications d’étude qui vont toutes dans le même sens), l’étude isolée résulte en un niveau de preuve inférieure au consensus scientifique. Il peut s’avérer que cette étude soit les prémices d’une nouvelle connaissance scientifique qui fera consensus plus tard et qu’elle s’avérera meilleure pour décrire le réel. Mais en l’état, elle n’est pas suffisante

La science pour éclairer les décisions des praticiens

La médecine moderne (Evidence Based Medicine pour « Médecine Fondée sur les Preuves ») entend utiliser les meilleures données issues de la science pour éclairer la décision du médecin. Cet éclairage vient en soutien de l’expertise du médecin et des préférences du patient. Cette méthodologie d’aide à la décision s’est répandue à l’ensemble des praticiens de santé et a pris le nom d’Evidence Based Practice.

Comprendre la hiérarchie des preuves scientifiques

Des raccourcis qui désinforment

« Une étude a montré que le traitement du professeur Durand était efficace contre la maladie X ».

On retrouve souvent ce genre de phrase dans la presse ou dans les débats mais celle-ci apporte une information incomplète. Pour fournir une information complète, la phrase devrait être par exemple :

« Une étude a montré que le traitement du professeur Durand était efficace contre la maladie X. Cette étude de bonne qualité méthodologique ayant impliqué un grand nombre de participants va dans le même sens que le consensus scientifique : le traitement en question semble efficace contre la maladie X avec un niveau de preuve élevé. »

Ou encore :

« Une étude a montré que le traitement du professeur Durand était efficace contre la maladie X. Parmi les études existantes sur ce sujet, cette étude portant sur un petit nombre de participants et de faible qualité méthodologique s’ajoute aux quelques études allant dans le même sens : le traitement en question contre la maladie X pourrait être efficace, mais le niveau de preuve est faible. »

Entre ces deux phrases, nous voyons bien la nuance que peut apporter la notion de « niveau de preuve ». Dans le premier cas, tous les voyants sont au vert pour recommander l’utilisation du traitement (si l’innocuité est également démontrée). Dans la deuxième situation, d’autres études plus convaincantes avec des résultats similaires devront voir le jour avant que la recommandation de prendre ce traitement soit formulée.

La hiérarchisation actuelle

Au cours des 40 dernières années, plus de 80 pyramides permettant de hiérarchiser le niveau de preuve ont été proposées. Le type d’étude, leur qualité méthodologique (présence ou non de biais méthodologiques), le nombre de participants ou encore le fait que les études se contredisent ou non, sont des éléments qui ont souvent été mis en avant pour évaluer le niveau de preuve. A l’heure actuelle, un système appelé « GRADE » apparaît particulièrement prisé par les chercheurs pour juger du niveau de preuve.  Ce système reprend les éléments précédemment cités en ajoutant d’autres critères d’évaluation. Avec ce système, le niveau de preuve est « très faible », « faible », « modéré » ou « élevé ».

Pourquoi la notion de niveau de preuve est importante

Décrypter l’actualité médicale et scientifique

Comprendre cette notion de niveau de preuve est une étape importante dans l’accès à l’information médicale et scientifique, et dans le développement d’un esprit critique finement aiguisé. Comprendre ces nuances permet de mieux se positionner dans l’actualité et de se détacher d’arguments parfois vaseux (comme “le bon sens”).

Décrypter l’actualité dans le domaine des médecines douces

Nombreuses sont les newsletters (souvent dans un but commercial) ventant l’efficacité des médecines douces (exemple : compléments alimentaires). Bien que des références scientifiques viennent soutenir les affirmations selon lesquelles ces approches sont efficaces, il s’agit souvent de petites études à faible voire très faible niveau de preuve à partir desquelles aucune affirmation ne peut être tirée de manière fiable. Ces références scientifiques sont alors choisies à l’occasion d’une démarche idéologique, justement parce qu’elle montre un effet bénéfique (alors que des études « à plus haut niveau de preuve » montrent l’inverse).

Les recommandations des sociétés savantes pour guider les praticiens

L’organisation des médecins pour émettre les bons choix

La Haute Autorité de Santé (HAS) organise régulièrement des groupes de travail dans lesquels des experts se réunissent pour émettre des recommandations de bonne pratique sur des sujets divers et variés. Pour ce faire, ces experts analysent chaque essai clinique, interprètent toutes les preuves scientifiques, les besoins des patients, et prennent en compte la réalité du terrain. Les recommandations sont ensuite proposées aux médecins pour les aider dans la manière de dispenser à chaque patient une information pertinente et de qualité, tout au long du processus de soins. Pour organiser cette expertise, la HAS a sa propre hiérarchie des preuves scientifiques. Hélas, les médecines douces ont peu fait l’objet de ce type de travaux.

Et pour les médecines douces ?

Des organismes comme le National Center of Complementary and Integrative Health (NCCIH) aux Etats-Unis existent pour émettre des recommandations sur l’usage des médecines douces. Hélas, l’information est incomplète et peu de professionnels de santé ou praticiens connaissent, en France, l’existence de cette structure. Dès lors, les praticiens peuvent recevoir pendant leur formation, des informations incomplètes sur l’efficacité ou l’innocuité d’une approche si le niveau de preuve n’est pas systématiquement détaillé. Cela peut les amener à prodiguer aux personnes qu’ils soignent des conseils inadaptés, voire dangereux.

Les risques liés à l’absence de prise en compte du niveau de preuve

Par exemple, sans cette notion de niveau de preuve scientifique, un naturopathe peut apprendre lors de sa formation que la gelée royale améliore l’équilibre du diabète de type 2 parce qu’un petit essai clinique montre des résultats positifs. Mais un naturopathe formé en prenant en compte cette notion de niveau de preuve saurait que la gelée royale n’a en fait probablement pas d’impact sur l’équilibre du diabète de type 2. Il s’agit en effet de la conclusion d’une méta-analyse récente ayant combiné et fait la synthèse statistique des résultats de toutes les études existantes sur le sujet. La revue systématique avec méta-analyse est le type d’étude considéré à ce jour comme ayant le plus haut niveau de preuve.

Niveau de preuve et évaluation de la balance bénéfice/risque

Combattre les idées reçues ou les croyances populaires en matière de santé s’avère nécessaire lorsqu’elles conduisent les individus à adopter des comportements ou des attitudes néfastes. En ce sens, il est important de prendre en considération le niveau de preuve car si le traitement, naturel ou non, présente un risque potentiel pour la personne alors que le bénéfice est peu probant (niveau de preuve faible), il est raisonnable de ne pas le proposer ou de ne pas le consommer.

Exemple de la balance bénéfice/risque pour la gelée royale chez les personnes diabétiques

Chez les personnes ayant des antécédents d’allergie ou d’asthme, la gelée royale semble par exemple provoquer un taux élevé de symptômes allergiques. En outre, la gelée royale pourrait théoriquement avoir des effets additifs sur la baisse de la pression artérielle et augmenter le risque d’hypotension chez des personnes prenant des médicaments anti-hypertenseurs. La gelée royale pourrait également augmenter les effets de la warfarine (un anticoagulant) et augmenter le risque de saignement. Ainsi, chez une personne diabétique traitée pour une hypertension, un asthme ou sous anticoagulants, le conseil de prendre de la gelée royale pour améliorer l’équilibre de son diabète n’apparaît pas particulièrement adapté car la balance bénéfice/risque n’est pas favorable.

Obtenir une information fiable sur les médecines douces grâce au niveau de preuve 

Le NCCIH et NCI

A l’heure actuelle, peu de site d’informations dédiés aux médecines douces et à destination du grand public existent pour fournir de l’information fiable basée sur le niveau de preuve. Les anglophones pourront tout de même naviguer sur le site du NCCIH pour glaner quelques informations. Dans le domaine du cancer, le National Cancer Institute (NCI), principal organisme du gouvernement fédéral américain pour la recherche et la formation sur le cancer, a émis un guide spécifique sur les médecines complémentaires et alternatives.

L’organisation Cochrane Complementary Medicine

L’organisation Cochrane Complementary Medicine, un groupe international de chercheurs promeut une approche des médecines complémentaires fondée sur des preuves et possède un site internet dédié à l’évaluation rigoureuse des médecines complémentaires et alternatives. Si de nombreuses médecines douces et problématiques de santé ont été passées en revues, les conclusions ne sont pas actualisées en temps réel et ce site est essentiellement prévu pour les médecins. Cela rend l’information peut digeste pour un public non-initié.

Sensas’ Lifestyle

Votre site d’information Sensas’ Lifestyle est sensibilisé à ce sujet et, pour une information correcte, les articles rendent compte autant que possible du niveau de preuve.

Demain, une application dédiée ?

L’équipe Kalya travaille également sur une plateforme qui permettra d’obtenir très rapidement l’information actualisée sur le niveau d’efficacité et le niveau de preuve des médecines douces et des interventions sur le mode de vie pour une problématique de santé donnée. Les premiers tests ont été lancés.


Rédacteur

Philippe Lenoir est médecin généraliste, journaliste médical, et compte parmi les rédacteurs réguliers du site Sensas’ Lifestyle. Il est expert médico-scientifique pour la société Kalya, start-up proposant des solutions innovantes pour guider les choix et intégrer les médecines complémentaires prouvées. Il ne déclare aucune autre affiliation.

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